(Billet 1214) - GenZ : Quelle possible sortie de crise ?

(Billet 1214) - GenZ : Quelle possible sortie de crise ?

Cela fuse de tous les côtés et chacun(e) y va de son diagnostic, puis de son pronostic, mais il faut bien convenir qu’il y a une crise sociale réelle, profonde, dans ce pays. Certains objecteront, et c’est leur droit, mais quand des jeunes, organisés et mobilisés sur les réseaux sociaux, sortent dans la rue crier leur colère/désespoir, depuis 10 jours, et même quand ils ne sont « que » quelques centaines ou à la rigueur quelques milliers, c’est qu’il y a problème, c’est qu’il y a crise.

Laissons ceux qui estiment que rien ne se passe et ceux qui, zen, pensent qu’il faut bien que jeunesse se passe, mais face à ces manifestations, même réduites en nombre, ne rien faire est périlleux. Que demande donc cette frange de la population ? Globalement une amélioration de la santé publique et de l’éducation nationale, puis plus précisément le départ du gouvernement et de son chef, et si possible une reddition des comptes de ceux qui en ont. A partir de là, plusieurs solutions de sortie de crise existent.

1/ Ne rien faire, laisser le temps au temps. C’est possible, mais dangereux, car laisser le temps au temps revient à le laisser à la jeunesse, qui en a, et même beaucoup. Il n’est jamais bon que dans une société, on laisse la jeunesse bouillir, l’histoire des hommes et des nations fourmille d’exemples qui le montrent. Aujourd’hui, ils son peu nombreux, en proportion, mais prendre le risque d’une amplification qui ne pourrait aller qu’avec une radicalisation ne semble pas être la meilleure option.

2/ Remaniement gouvernemental partiel. Le chef du gouvernement, aux termes de l’article 47 de la constitution, peut proposer au Roi le changement de quelques ministres, dont essentiellement ceux de la Santé et de l’Education. Cela non seulement ne réglerait pas la situation de crise mais serait injuste à l’égard de ces deux ministres qui ont été nommés voici moins d’un an et qui ne sont donc pas responsables de la situation de leurs secteurs.  Jeter du lest ne donne pas toujours de la hauteur…

3/ Intervention du Roi. Il en a le pouvoir constitutionnel, soit en acceptant une possible démission collective du gouvernement ou celle de son chef uniquement, soit en prenant l’initiative de révoquer des ministres, soit en activant l’article 96 de la même constitution, en décidant la dissolution de la Chambre des représentants. Dans le premier cas, le Souverain pourrait désigner un autre chef du gouvernement issu du RNI, ou revenir au troisième cas, dissoudre la Chambre, et appeler à des élections dans le délai imparti de deux mois.

Cela signifierait une implication directe du Roi dans une situation où les seules institutions pourraient apporter la solution. Et cela comporterait le risque d’un précédent qui, dans un pays habitué aux manifestations de foules et d’humeurs, fragiliserait les gouvernements suivants et exposerait le Roi à des sollicitations récurrentes de la population.

4/ Initiative du gouvernement. Dans son article 103, la constitution confère au chef du gouvernement la possibilité d’engager la responsabilité de son cabinet dans un discours de politique générale, avec comme perspective la démission collective du gouvernement si le vote est négatif. Face au grondement de la rue, M. Akhannouch pourrait y penser, mais vu les déclarations des ministres et de leur chef lui-même, une telle initiative est très peu probable, quoiqu’elle aurait eu du panache.

5/ Action du parlement. A un an des élections et vu l’ampleur des manifestations, même réduites en nombre mais soutenues dans le temps et étendues dans l’espace, les députés pourraient faire un rapide calcul. Un an, c’est trop court pour faire oublier ce mouvement et les candidats à leur réélection pourraient s’entendre rudement reprocher leur inaction. Il serait intéressant de savoir ce qu’en pensent les députés, de l’opposition bien sûr mais surtout de la majorité, et principalement de l’Istiqlal et du PAM.

L’article 105 de la constitution permet au cinquième de la Chambre des représentants (79 élus) de déposer valablement une motion de censure, qui serait votée et approuvée par l’obtention de la majorité absolue (198). Si tel est le cas, les élections générales devraient alors se tenir dans les deux mois.

Tout cela est compliqué par le fait que les élections législatives se tiendront normalement dans une dizaine de mois. Le gouvernement entend achever sa mission, parce qu’il estime avoir rempli ses engagements et que son action est utile. En face, les jeunes ne veulent pas entendre parler d’un maintien du gouvernement. Entre les deux, la société et les observateurs, les chiffres et la réalité, conduisent à penser plutôt à un bilan mitigé, voire médiocre, du gouvernement Akhannouch.

Cette action du législatif serait la plus indiquée car elle redorerait le blason d’une classe politique atone et monotone, n’exposerait pas le Roi et serait logique : le peuple qui a élu le parlement lequel a désigné le gouvernement proteste dans la rue ; le parlement a entendu son appel et, dans son rôle de contrôle de l’action gouvernementale, décide de conduire une motion de censure. Il faut juste que ses très, trop nombreux membres sortent de leur torpeur de quatre ans.

 

Nous en sommes là. Et nous sommes à 48 heures d’un discours royal très attendu, à l’occasion de l’ouverture du parlement et durant lequel, avec la jeunesse du pays dans la rue, physiquement ou virtuellement, le chef de l’Etat aura face à lui l’exécutif et le législatif, c’est-à-dire les deux organes par où le problème est né et par lesquels il devra être solutionné. Personne ne peut prédire, prévoir ou savoir ce que dira le Roi, mais il a habitué les Marocains à avoir une haute maîtrise du temps et à toujours proposer les solutions idoines (crise de 2003, manifestations de 2011, grogne de 2017, crise Covid…).

Quelle que soit l’origine de la crise sociale qui secoue le Maroc, sociale, économique, générationnelle ou même mystérieuse, sa solution sera politique.

Aziz Boucetta



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