(Billet 1215) – La coalition gouvernementale en est-elle une vraiment ?

Prolégomènes. Et subitement, en ce 22ème jour de septembre de l’an de grâce 2021, la coalition post-électorale naquit. Le Maroc apprit que le RNI, vainqueur, et son président, chef de gouvernement désigné, avaient pris comme alliés le PAM et le parti de l’Istiqlal. Une coalition à trois avait donc rapidement germé et c’était tant mieux pour la lisibilité future du champ politique. Mais tout le monde savait, et sait toujours, que rien de solide ne liait idéologiquement les trois partis, si tant est qu’on puisse parler d’idéologie bien évidemment.
Et c’est bien le problème, car cette coalition s’était appuyée sur une logique numérique décroissante. Le RNI, en recherche de domination absolue mais ne pouvant « gouverner » seul, ni même avec son suivant immédiat, avait dû élargir sa coalition, mais sans aller très loin. Avec les trois premiers partis, la majorité est alors très large (270/395). C’était une bonne chose, surtout que cette coalition s’était prolongée dans les territoires, régions et grandes villes. Mais par la suite et dans la réalité, les choses devaient aller et vont autrement.
Comme il n’y a pas d’idéologie ou de plateforme politique conjointe qui regroupe les trois partis, en dehors d’une quincaillerie économique commune faite de chiffres, d’ambitions et de perspectives, chacun y a été en fonction de son intérêt propre à court terme. Les choses sont allées ainsi durant quatre ans, dans des conditions difficiles et imprévues (guerre en Ukraine, sécheresse, …), ce qui a compliqué l’affaire et soudé un peu les rangs.
Cela a commencé à craquer en 2024. Pas d’attaques à proprement dites, mais des grincements et des grognements sur telle attribution ministérielle, la paternité de tel succès gouvernemental (il y en a eu beaucoup) ou la responsabilité de tel revers (il y en a eu autant)… En 2025, la pré-précampagne est lancée et ce ne sont pas les motifs de dissension qui manquent : emploi, viandes, textes législatifs…
Et puis on en arrive à aujourd’hui… Les gens voient des chantiers partout, des édifices modernes sortir de terre, des routes et des autoroutes percer les montagnes et parcourir les plaines, des CHU ici et là, des universités, des écoles, mais pas d’emploi et la vie chère, de plus en plus chère. Le propre d’un gouvernement est de servir la population et le principe d’une politique est d’atteindre son public cible, mais cela ne se produit pas et le ruissellement tant vanté ne coule pas ; peut-être les effets de la sécheresse…
Les jeunes sont donc en colère, fermement déterminés à rester dans la rue tant que le gouvernement reste en place. Et ledit gouvernement affiche étrangement une solidarité entre ses trois partis, ou du moins c’est ce qu’ils montrent (en privé, PAM et PI disent autre chose, mais cela reste privé). Au sein de l’exécutif, on trouve désormais les ministres neutres (les régaliens), les ministres pleutres (celles et ceux « colorié(e)s » politiquement mais aujourd’hui planqué(e)s), et les autres, les politiques qui osent aller sur les plateaux, et toujours dans un admirable équilibre médiatique des trois partis.
Voilà pour la solidarité gouvernementale, reste la politique. Quelle est cette chose qui conduit les chefs des deux partis, Nizar Baraka et Mehdi Bensaïd (avec Fatima Zohra Mansouri) à se montrer aussi soudés au RNI, objet de toutes les attaques, les récriminations et même les accusations, à ce RNI qui les a pourtant passablement malmenés durant ces quatre dernières années ?
Nizar Baraka et Mehdi Bensaïd pensent-ils à l’échéance électorale de 2026 ? La campagne électorale venue, que répondront-ils, et leurs Jeunesses avec eux, aux jeunes électeurs quand ils leur parleront et qu’ils s’entendront reprocher de ne pas avoir agi quand le peuple était dans les rues ? Aujourd’hui, ces deux partis ne sont pas vraiment touchés par la contestation, qui cible essentiellement le RNI, son président et ses ministres, et c’est aujourd’hui qu’ils doivent savoir agir et se désolidariser de leur navire amiral. Il ne suffit pas de déclarer comme l’a fait M. Baraka sur 2M dimanche dernier, qu’il intervenait en chef de parti et non comme ministre, et il ne s’agit pas non plus de finasser comme sait si bien le faire Mehdi Bensaïd… les deux comportements seraient une offense à la jeunesse, GenZ ou non.
Nizar Baraka et Mehdi Bensaïd ont-ils pensé à consulter leurs bases et surtout leurs députés avant de décider, en état-major de la majorité, de soutenir le gouvernement et son chef ? Les presque 170 députés de l’Istiqlal et du PAM, qui seront certainement candidats à leur réélection et qui n’ont d’autre horizon que leur circonscription, approuvent-ils la politique de leurs chefs, sachant que cela leur sera rudement reproché l’été prochain ?
L’Istiqlal d’aujourd’hui devrait rester fidèle au legs reçu de ses illustres leaders d’hier et le PAM a une occasion en or de s’acheter une légitimité ; les deux devraient dire « non ! » aujourd’hui, sous peine d’en payer le prix demain. L’histoire politique récente offre pourtant un cas similaire, quand l’Istiqlalien Hamid Chabat avait claqué la porte du gouvernement Benkirane I en 2013… Les chefs actuels du PAM et de l’Istiqlal n’ont pas cette audace de partir.
Comment expliquer une démarche politiquement suicidaire de ces deux partis qui s’auto-infligent une solidarité ne répondant ni à une quelconque logique politique ni même au plus élémentaire des calculs électoraux ? On comprend dès lors pourquoi Nabil Benabdallah et Abdelilah Benkirane, des bêtes politiques, aient réagi comme ils l’ont fait, s’engouffrant chacun à sa manière dans la brèche contestataire. Il y a certainement de la sincérité dans leur démarche, mais du calcul aussi, peut-être même du calcul surtout. Les chefs de l’Istiqlal et du PAM, ne sont-ils donc plus aussi madrés que leurs aînés, lointains pour le PI, proches pour le PAM ?
On reproche à ces deux partis de ne pas faire honneur à la démocratie et encore moins aux attributions conférées aux partis politiques par la constitution. Le reproche est juste et on peut le confirmer par la faiblesse de la démocratie interne au sein de leurs appareils. Il fut un temps où le Conseil national de l’Istiqlal se réunissait en session extraordinaire pour décider de « lmoucharaka » (participation) ou non à des gouvernements ; pourquoi ne le fait-il plus maintenant ? Idem pour le PAM, qui devrait réunir sa forte cohorte de députés pour décider, collégialement, de la conduite à tenir face à l’exécutif. S’ils croient vraiment à la démocratie interne, que les chefs de ces deux partis organisent un vote interne et secret sur la position qu’ils devraient adopter à l’égard de cette crise.
Il est des moments dans l’histoire où un homme, une femme politique prend des décisions, endosse des positions, assume des risques, propose et s’expose. James Freeman Clarke disait qu’ « un politicien pense à la prochaine élection ; l’homme d'Etat, à la prochaine génération ». On savait que depuis longtemps, la classe politique marocaine ne produit plus d’hommes d’Etat ; aujourd’hui, en se solidarisant aveuglément avec un gouvernement en perdition, les chefs des deux partis alliés au RNI dans la majorité montrent qu’ils ne sont même pas politiciens ; juste un peu techniciens.
Aujourd’hui, le PPS de M. Benabdallah et le PJD de M. Benkirane entrevoient une fenêtre pour s’engouffrer dans le corps électoral et engranger plus de voix, et donc plus de sièges que les 35 qu’ils cumulent tous les deux. Sans coup de théâtre au sein de la majorité, les trois partis la composant auront toutes les peines du monde à convaincre l’électorat le moment venu. Il faudra alors guetter le PPS et le PJD qui – on peut leur faire confiance – se mettront sur les rangs pour récupérer les voix perdues par le trio gouvernemental, et ils devront commencer par inciter et convaincre les jeunes GenZ212 à s’inscrire massivement sur les listes électorales.
Et à voter tout aussi massivement.
Aziz Boucetta